Porgy and Bess - Otto Preminger - 1959

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kiemavel1
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Porgy and Bess - Otto Preminger - 1959

Message par kiemavel1 » 01 févr. 2016, 11:15

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Porgy and Bess (1959)
Dans la ville portuaire de Charleston en Caroline du Sud, les habitants d'un quartier noir proche des quais vivent misérablement de la pêche. Un soir, Crown, un docker violent accompagné de sa maitresse Bess arrive dans la cour de Catfish Row et ils se joignent à un groupe d'hommes jouant aux dés. Sous l'emprise de la cocaïne et parce qu'il était en train de perdre, Crown tue Robbins et prend la fuite, abandonnant sur place Bess. Rejetée par tous, la jeune femme qui traine une très mauvaise réputation se réfugie chez Porgy, un mendiant infirme amoureux d'elle et raillé pour cette raison par ses voisins. Bess s'installe définitivement chez Porgy, trouve auprès de lui une vie amoureuse stable et tente de résister aux tentations du dealer Sportin' life qui tente de la persuader de partir à New-York avec lui. Un jour Crown réapparait…
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Il est difficile de voir ce film puisque les ayants droit de George Gershwin ont depuis 40 ans fait interdire sa diffusion considérant qu'il trahissait l'œuvre d'origine en en faisant une comédie musicale plus qu'un opéra notamment en raison des récitatifs transformés en dialogues parlés. Or, même si évidemment cette position est compréhensible, plus d'un cinéphile méconnaissant l'opéra (j'en suis) pourra trouver que le mariage entre la musique de Gershwin et les voix d'opéra n'est pas si évident et on pourra même regretter les voix d'opéra des 3 principaux personnages (tous doublés) ; ce qui n'est évidemment pas le cas de Sportin' life (Sammy Davis Jr.) ni de certains personnages secondaires (dont deux ont quelques unes des "chansons" les plus célèbres). Gershwin lui même avait été plus souple puisqu'il avait qualifié son oeuvre de "Folk Opera" (opéra populaire) et ne l'imaginait pas représenté dans les salles où l'on donne de "vrais" opéras...D'autre part, qualifier le Porgy and Bess de Preminger de comédie musicale me parait un peu abusif, précisément en raison du registre vocal des 3 principaux personnages ; parce qu'on n'y danse pratiquement pas et en raison des évènements presque exclusivement dramatiques qu'on y voit. Le qualifier de drame musical serait plus approprié.

La deuxième controverse vient de ce que l'opéra puis le film montrent de cette communauté noire…La création de l'opéra à une époque où l'esclavage était encore "de mémoire d'homme" et où la ségrégation raciale ne faiblissait pas, a semble t'il moins heurté que son adaptation cinématographique sortie dans l'Amérique de Kennedy, de Martin Luther King et du mouvement pour les droits civiques. Le film venant 25 ans après la création de l'opéra, il a paru véhiculer des stéréotypes négatifs sur les afro-américains. Encore aujourd'hui, on peut sans doute toujours interpréter le spectacle et le film de deux façons ; d'une part le voir comme un spectacle innovateur en tant que première grande production 100 % noire (cad s'attachant à des personnages exclusivement afro-américains et jouée par eux) ; mais d'un autre coté, les clichés véhiculés ne sont pas vraiment "politiquement corrects". Une œuvre à resituer dans son époque, donc…On y arrive pour l'opéra qui est souvent monté alors je ne vois pas pourquoi cela serait impossible pour l'adaptation qui est très fidèle à l'esprit et à la trame de l'oeuvre originale quand bien même elle la trahirait un peu musicalement.
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La seule accusée est de toute façon la pauvreté. 90 % de l'action se passe dans une cour presque fermée accentuant cette impression d'enfermement dans la misère. Dans cette cour grouillante, on peut parfois se montrer solidaire. On s'épaule dans le deuil (toutes les séquences qui suivent l'assassinat de Robbins) ; la joie peut parfois affleurer mais ce n'est qu'une parenthèse (la longue et admirable séquence du pique nique communautaire sur l'ile de Kittiwah). Mais l'univers qui nous est montré est surtout misérable et violent. Le jeu, auquel s'adonne les hommes à la fin de la journée, est propice aux plaisanteries mais les moqueries sont parfois cruelles (pour Porgy) ; les rejets, injustes (pour Bess) ; et surtout, entrainée par la consommation d'alcool et surtout de drogue, la violence peut surgir brutalement. Cette vie de souffrance est à peine soulagée par l'amour. D'emblée on ne croit pas à l'espoir exprimé par Porgy qui veut sauver Bess…À cause de l'omniprésence de Sportin' life, le revendeur de drogues ; celle de Crown et même en raison de l'intolérance des habitants de la cour tant ils sont bourrés de préjugés sur l'infirme, sa petite amie (1) et leur amour impossible. Cela s'exprime jusqu'au bout puisqu'ils laissent Sportin' life abuser Bess sans réagir et y compris dans l'épilogue, ils estiment que cette fille n'était de toute façon pas faite pour l'infirme. Dans cette histoire qui suinte le malheur, les seuls personnages réellement positifs et suscitant un mince espoir sont Jake, le patron pêcheur ; sa femme Clara et leur nouveau né. Le film s'ouvre sur la sublime berceuse Summertime chantée par Clara à son enfant et à plusieurs reprises, le couple radieux exprime des espoirs bien concrets de vie meilleure. Leur optimisme, leur joie et leur acceptation sans réserve par la communauté contraste avec le traitement que subissent Porgy et Bess…Ils seront malgré tout eux aussi engloutis par la tempête qui éclate au deux tiers du récit !

Comme un symbole, alors que personne n'aurait l'idée de mettre le nez dehors tandis que l'ouragan éclate, Crown fait véritablement son retour cette nuit là, impressionnant ainsi les habitants médusés par son audace et la force qui se dégage de ce personnage qui suscite autant l'inquiétude que l'admiration, y compris pour les moqueries et le mépris qu'il exprime pour les frayeurs des habitants de Catfish Row alors que lui défie les éléments et met Dieu au défi de le frapper. Plus tôt, c'est Sportin' life qui s'était lui aussi moqué de la naïveté des croyants écoutant les prêches du pasteur durant le pique nique (c'est souligné par l'ironique et célèbre chanson It Ain't Necessarily So chantée par Sammy Davis Jr.) Le secours de la foi est donc raillé mais cela passe par les deux personnages les plus sombres de l'histoire. Au delà de ces deux personnages "maléfiques", la foi religieuse imprègne Porgy and Bess du début à la fin et c'est sur cet aspect là que les stéréotypes concernant les afro-américains sont les plus gênants : leur croyance naïve, leur ferveur religieuse et encore davantage leurs superstitions se manifestent à plusieurs reprises rendant notamment trop faciles les manipulations de Sportin' life sur Porgy et surtout sur Bess.
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En dépit de cet aspect, c'est pourtant Bess qui est le personnage le plus intéressant de cette histoire. Si le gentil Porgy tente d'arracher la jeune femme des griffes de Crown, son amant violent, et de l'emprise de Sportin' life, le personnage pourtant bien défendu par Sidney Poitier est un brin trop pathétique à mon gout. Les tiraillements de Bess qui aime Porgy tout en ayant avoué avoir eu pitié de l'infirme ; craignant son ex petit ami mais aussi attirée par sa vitalité tout en détestant cette attirance rendent ce personnage qui se bât avec ses propres faiblesses, contre elle-même pour arrêter la drogue et qui s'interroge sur l'attitude qu'elle va adopter si Crown reparait, bien plus passionnant que celui de Porgy qui est simplement touchant. Dorothy Dandridge est parfaite dans ce rôle, bien qu'un peu trop jolie et bien portante pour une "camée". Elle joue de sa sensualité tout en rendant parfaitement compte des contradictions et des tiraillements du personnage. Si son amant Crown est très bien interprété par Brock Peters, parfait en bête humaine, je suis moins convaincu par Sammy Davis Jr. serpent filiforme cintré dans son élégant costume contrastant avec les vêtements portés par les autres habitants du quartier (2). Aussi souriant que sournois, il en fait beaucoup en petit salaud maléfique aux aguets et se faufilant partout.

Porgy and Bess est évidemment bourré de "tubes" repris par nombre de musiciens et chanteurs de jazz et la plupart sont bien mis en image par Preminger. Gershwin avait donné des airs importants à des personnages secondaires, puisque Summertime est une berceuse chantée par Clara, la femme du pêcheur Jake dans la superbe séquence d'ouverture (la chanson est reprise partiellement plus tard, notamment par Bess). Puis chronologiquement, A Woman is Something Thing est chantée et reprise par plusieurs interprètes. Ensuite, Le célébrissime I Got plenty o' Nuttin' est chanté par un Porgy fou de joie après que Bess ai décidé de s'installer durablement avec lui. Le superbe Oh I can't sit down est chanté en choeur durant le départ pour le picnic. Puis vient It Ain't Necessarily So chantée par Davis. Si la chanson est excellente, Preminger fait passer dans une chorégraphie maladroite (c'est la seule séquence dansée) l'hystérie collective qui saisit la plupart des participants au pique nique entrainés par les propos de Sportin' life. Si la partie centrale montrant le retour progressif de Crown est plus faible (en dehors de l'ouragan), le final qui commence avec le morceau Morning Sounds qui correspond au retour de Porgy qui avait été brièvement incarcéré est plus réussi. Cette séquence qui débute avec tous les petits bruits de la rue qui enrichissent progressivement la mélodie rappelle fortement la séquence d'ouverture de Love me Tonight de Mamoulian (et on peut noter que c'est lui qui devait réaliser le film). Enfin, le film se clôt avec la chanson O Lawd, I'm On My Way, faussement optimiste, dans laquelle Porgy semble compter sur des forces surnaturelles pour retrouver Bess…
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Je signale que les photos postées, c'est seulement le projet :wink: et qu'il y a pas mal de travaux à prévoir pour profiter au mieux d'un film qui vaut bien mieux que sa réputation sans être un des grands Preminger. Il est en tout cas selon moi supérieur à l'autre Preminger+Dandridge : Carmen Jones…Ce fut le dernier film produit par Samuel Goldwyn et c'est Rouben Mamoulian -qui avait mis en scène l'opéra à sa création en 1935- qui devait donc en réaliser l'adaptation mais il a été remplacé par Preminger après avoir exigé de tourner le film sur place, en Caroline du sud. À l'opposé de ce que Mamoulian avait souhaité, le film a été tourné volontairement dans un grand décor quasi unique renforçant un certain sentiment d'artificialité et rapprochant le plateau d'une scène d'opéra ; une réussite esthétique selon moi, due notamment sans doute au directeur artistique Joseph Wright, un spécialiste de la comédie musicale, et au directeur de la photographie Leon Shamroy. Plusieurs nominations aux Oscars...et 1 statuette pour Andre Previn pour l'adaptation musicale et l'orchestration. DVD gravé (vost)

(1) Il est sous entendu que Bess est une prostituée et que Crown est son souteneur. D'ailleurs Sportin' life est sans ambiguité à ce sujet lorsqu'il fait miroiter à Bess la belle et surtout lucrative vie qu'ils pourraient mener à New-York.
(2) Mais c'est l'ensemble des tenues portées qui a suffisamment retenu l'attention pour que Irene Sharaff, la costume designer soit nommée aux Oscars

Les 4 principaux personnages :
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Preminger dirigeant + la troupe devant le décor
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