cinescope n° 2 : critique de série noire.

Film Noir
Répondre
cinescope
Messages : 3
Enregistré le : 15 août 2006, 20:13

cinescope n° 2 : critique de série noire.

Message par cinescope » 15 août 2006, 20:34

Bonjour à tous, je participe à un bulletin sur le cinéma, cinescope, et on doit sortir demain notre numéro 2.

Je vous dit cela car il devrait y avoir une note sur Série Noire de Corneau. Je la mettrais en ligne si vous le souhaitez. Vous pouvez nous demander le bulletin par mail (cinescope2006@yahoo.fr), ou bien en consultant le blog : http://cinescope2006.canalblog.com/

Amitiés.

Avatar du membre
Personne
Messages : 8283
Enregistré le : 15 janv. 2005, 16:10
Localisation : Atlantic City

Message par Personne » 16 août 2006, 18:29

Bienvenue cinescope et merci pour le lien sur ton blog qui s'annonce très intéréssant.



Par contre, je déplace ton sujet dans un lieu plus approprié : ici. :D

cinescope
Messages : 3
Enregistré le : 15 août 2006, 20:13

Message par cinescope » 20 août 2006, 14:08

Voici l'article sur Série Noire. Vous trouverez le reste sur le blog...




« Série Noire » d’Alain Corneau (1979)

Avec Patrick Dewaere, Marie Trintignant, Bernard Blier.



Etrange à double titre. En recherchant ce qu’avait pu écrire les autres avant sur un film aussi fascinant que « Série Noire », je me suis aperçu de deux choses : d’une part que le film est autant porté au pinacle que peu commenté, et d’autre part, que Corneau est le réalisateur du film « Le prince du Pacifique ». Pourquoi étrange ? Car l’on s’aperçoit que les mots manquent pour comprendre les mécanismes de la noirceur française, et que Corneau, avant d’avoir été capable du moins bon, a été capable du meilleur. En effet, on peut dire qu’en terme de noirceur diffuse, « Série Noire » n’a pas d’égal. Bertrand Tavernier ne manque pas d’éloges : « Difficile de trouver les mots, les phrases exactes pour décrire ce que l'on ressent physiquement après Série noire, tant on en sort épuisé, lessivé... Comme si l'on avait réellement participé à tout ce qui vient de se dérouler sur l'écran. Comme si l'on avait vraiment mené avec Patrick Dewaere, en même temps que lui, cette course haletante qui, par son lyrisme du sordide, sa poésie du dérisoire, renvoie directement à la fuite vertigineuse de Richard Widmark dans Les Forbans de la nuit... Mêmes personnages fantomatiques, étrangers à ce qui les entoure, prisonniers de leurs rêves, même angoisse métaphysique. »

Pour comprendre le film (et pousser à aller le voir, le revoir), il faut sans aucun doute évoquer plusieurs éléments qui expliquent en partie les propos de Tavernier : la littérature et le style de Jim Thompson (auteur de « A Hell of a Woman » - traduction française : « des cliques et des cloaques »- dont le film est l’adaptation cinématographique), l’environnement social français, quelques ressorts dramatiques du film, et le rapport entre la caméra et le héro).



Jim Thompson, l’écrivain-scénariste de la noirceur (1906-1977).



Thompson est un auteur de roman noir tout à fait particulier : il n’est pas rattaché à la Hard Boiled School de Hammet et Chandler, qui décrivent des personnages « dur à cuire », qui se font justice eux-mêmes avec des méthodes assez peu académiques, symboles des années 20-30, de sa prohibition, de sa pègre, des règlements de comptes et de l’héritage de l’Amérique sauvage. Non, les œuvres de Thompson sont noires car désespérées, confrontées à une humanité en déperdition. Dans la plupart de ses romans, le personnage central est poussé dans une fuite en avant destructrice, cherchant à se sortir de ses maux avec des remèdes qui engendreront un mal plus grand encore. Les récits sont souvent réalistes car pour une grande partie autos biographiques. Son père était Shérif, et on peut sans mal imaginer qu’il s’est servi de sa mémoire pour écrire « Pop 1280 » (en français : « 1275 âmes » - pourquoi 5 habitants de moins ? Mystère que je n’ai pas encore percé, si quelqu’un connaît la réponse, merci de me la faire parvenir), histoire d’un Shérif d’une petite bourgade des Etats-Unis. Il n’y a donc pas vraiment d’intrigue à proprement parler dans ses livres : nous suivons les déambulations d’un personnage qui s’autodétruit, et sème la mort et la désolation autour de lui. C’est ainsi qu’il est tout à fait caractéristique du roman noir, plus que du roman policier (bien que ces deux catégories soient largement mélangées dans la collection « Série noire » animée par Patrick Raynal, auquel le film fait explicitement référence en reprenant la même typographie que les couvertures des livres). Ce désespoir est alimenté manifestement par un pessimisme social et politique : groom dans un hôtel pendant qu’il faisait ses études, il vendra de l’alcool (nous sommes pendant la prohibition découlant du 19ème amendement de la Constitution de 1919) et de l’héroïne. Il militera trois ans au PCA (parti communiste américain) entre 1935 et 1938. Son attachement à la description des environnements sociaux américains viendra des enseignements marxistes de son grand-père.

Auteur de nouvelles, on retrouve Thompson à la rédaction du scénario d’ « Ultime Razzia » (« The Killing ») de Kubrick. Dans ce film, on retrouve toute la noirceur des personnages chers à l’écrivain, et une fin toute Thompsonienne : à deux pas de la fuite finale et salvatrice, un malheureux évènement fait tout basculer, et une nuée de billets de banque s’envole, pendant que la police se rapproche des protagonistes. Anecdote : Kubrick ne sera pas fair-play vis-à-vis de Thompson alors relégué au rang de rédacteur des « dialogues additionnels ». L’histoire se règlera quand le réalisateur lui proposera le scénario des « Sentiers de la gloire » (« Paths of Glory »). Si Kubrick est un réalisateur de génie, il est évident que la noirceur sociale et fascinante de Thompson sera pour beaucoup dans le rendu des deux films.

Plus tard, notamment après la mort de l’écrivain (crises cardiaques successives, couplées à l’alcool), ses romans seront adaptés au cinéma par plusieurs réalisateurs, dont un certain nombre de français (« Pop. 1280 », « Coup de torchon », « Les arnaqueurs »).

Pourquoi parler autant de Thompson pour présenter « Série Noire » ? Tout simplement car l’œuvre de Corneau est à la fois très librement adaptée à la France des années 70, et en même temps, liée dans un très grand nombre de détails au roman.



Coup de maître de Corneau.



« Qui dit noir-polar dit d'abord : radiographie sociale, rapports de force, et non pas analyse psychologique et sentimentale (du genre de celles qui se démodent tous les 5 ans). Noir-polar c'est aussi le gouffre. » (Corneau). Le gouffre, c’est précisément la direction des histoires de Thompson.

Toute la force de « Série Noire », c’est d’avoir mis sur pellicule le noir littéraire dans du bleu-blanc-rouge. Tout d’abord, il faut rappeler que le parcours d’un réalisateur explique sa manière de filmer. Or Corneau n’a pas toujours été Corneau. Avec Bertrand Tavernier, il était à ses débuts militants d’une organisation politique trotskiste : l’OCI. L’anecdote n’est pas sans importance, car « Série Noire » s’attache à montrer la France à la fin des années 70 d’un point de vue social : fin des années de reconstruction sous autorité américaine (Nixon déclare la guerre économique en 1971), l’espoir de la victoire de la gauche, le désespoir des luttes qui n’aboutissent pas, le malaise social.

Dès le début, le cadre est posé. Le cadre, c’est tout autant le personnage central (Franck Pourpart - Patrick Dewaere, brillant !) que ce qui l’entoure. Nous sommes sur un terrain vague jouxtant des immeubles HLM, il pleut, il fait sombre, le ciel gronde, et là, Franck se fait son film à lui. Il s’imagine aux prises avec des gangsters, se bagarre et finit par danser sur un air de Jazz (Duke Ellington à la trompette). On le sent bien : le personnage est paumé, dans un endroit paumé, sous des auspices qui annoncent le pire. Corneau reprend donc à son compte les relents désespérés du roman, en l’adaptant à l’environnement social de l’hexagone, pour en faire un vrai film noir français, qui n’a pas grand-chose à voir avec le film noir américain à proprement parler, découlant pour l’essentiel des auteurs de la « Hard Boiled School » susmentionnée. Le décor ne changera pas vraiment tout au long du film: il fait toujours gris, froid, Franck se réfugie souvent sur un terrain vague. L’amour entre lui et Mona se résumera à quelques échanges physiques désarticulés, disharmonieux, bref ratés.

On se délecte de toutes ces scènes ou le mal-être transpire, ou tout semble glauque.

Franck est représentant pour un quincaillier. Les affaires marchent mal, son couple va mal. Une rencontre avec Mona (Marie Trintignant dans son tout premier rôle), jeune fille de 17 ans prostituée par sa vieille tante dans une maison lugubre de banlieue. Les personnages sont à l’abandon. Or Franck va se lancer dans un plan hasardeux : prendre le magot de la tante, partir loin, très loin, avec la jeune Mona. Ca, c’est le scénario, le film qu’il se fait lui-même. Mais la réalité le rattrapera, pour un dénouement différent du livre, plus sombre car plus réaliste, et bouclant le cycle de désenchantement.

Pour accentuer au maximum les traits noirs du film, les faire surgir de manière saillante (mais sans en faire trop), Corneau utilise beaucoup la musique. Outre la légèreté du jazz du début sur fond de banlieues (utilisé également à la fin), Corneau fait ressortir le désespoir et les rêves perdus dans la maison conjugale en y mettant une radio diffusant Claude François.

Deux exemples :



La rencontre avec Mona. Franck le représentant cherche un mauvais payeur et se voit proposer par l’ancienne employeuse de ce dernier un drôle de marché : une robe de chambre contre une passe avec une charmante nièce aperçue à la fenêtre. Dans la chambre de la jeune fille, rien que la misère et une radio qui crache le tube de Gloria Lasso : « Prends ma main, Car je suis étranger ici, Perdu dans le pays bleu, Etranger au paradis, Et je sais qu'en chemin, Le danger dans un paradis, C'est de rencontrer un ange, Et qu'il vous sourie ». Fausse mélodie du bonheur qui annonce la course dans l’impasse.



Puis Franck, rentre d’une journée sombre, où il a découvert qu’une vieille dame pouvait prostituer sa nièce de 17 ans. La maison est dans un désordre innommable. Sa femme est allongée sur un lit, feuillette une revue féminine au milieu du désordre. En fond, Cloclo chante : « Dites lui que je suis comme elle, Que j'aime toujours les chansons, Qui parlent d'amour et d'hirondelles, De chagrins, de vent et de frissons. Dites lui que je pense à elle, Quand on me parle de magnolias… ».



L’utilisation de tubes enjoués et romantiques est tout à fait bien sentie, on est plongé littéralement dans cette mise en relief de la souffrance et de la désespérance. Sans doute quelque part, le film est rassurant quant à nos propres turpitudes.



Le spectateur impliqué.



Comme Bertrand Tavernier, nous avons bien l’impression de vivre les évènements en même temps qu’ils se déroulent devant nous sur l’écran. Contrairement aux films policiers où le récit se place du point de vue de la victime ou du policier, ici, on est attaché au tueur. Corneau nous le montre compréhensif, la main sur le cœur, confronté à la débrouille du quotidien pour assurer sa survie. D’une certaine manière, les évènements sont agencés de telle manière qu’on se dit qu’il n’y avait que cette solution là, même si elle ne mène finalement à rien, à une fuite en avant sans espoir.

Hitchcock avait utilisé ce procédé ambigu dans « Psychose » au moment où Anthony Perkins regarde la voiture de sa victime s’enfoncer dans la vase. Quand elle se bloque à moitié, notre sentiment premier est de partager l’angoisse visible sur le visage du tueur : il faut que la voiture s’enfonce complètement. Cela est d’autant plus déroutant que l’on change de point de vue en cours de film, l’héroïne du départ s’étant faite assassiner lors de la célèbre scène sous la douche.

Dans « Série Noire », nous allons compatir avec celui qui fait le mal autour de lui. Pris au piège, nous allons avoir un sentiment de solidarité et d’attachement qui nous impliquera dans la combine, le meurtre, la traque par l’entourage.

C’est donc ce mélange d’auto destruction et de solidarité face aux choix du personnage qui rend le film si intimiste et renforce le sentiment de proximité avec celui qui est, au final, l’assassin de l’histoire.



Un épiphénomène.



On peut dire qu’il y a eu un style policier français, mais le film noir est avant tout américain. L’importation de Thompson et de sa petite boutique des noirceurs est à classer un peu à part. Les autres films policiers de Corneau (« Police Python 357 », « La menace », « Le choix des armes ») sont biens moins bons, et seul Melville parviendra à réaliser quelques chefs d’œuvres français dans ce style (« Ascenseur pour l’échafaud » dont les scènes d’errances nocturnes sous solo de Miles Davis sont magnifiques). Si ces quelques films sont très réussis (et « Série Noire » est le meilleur d’entre eux) on ne peut pas à proprement parler d’un style « film noir à la française ».

Cela fait du film de Corneau une réussite à part et de ce point de vue, d’autant plus remarquable. Une fois le film vu, on a des difficultés à comprendre la suite du parcours individuel qui conduira le réalisateur à ses films de la dernière décennie…

Invité

Message par Invité » 21 août 2006, 20:00

ca y est le numéro deux est mis en ligne :





Opéra et cinéma : divorce à l’italienne.

Un homme un vrai.

Série Noire de Corneau.

Courrier des lecteurs.





n'hésitez pas à dire ce que vous en pensez, sur le blog ou sur le forum "film noir".

Répondre