Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

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kiemavel1
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Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par kiemavel1 » 10 oct. 2017, 23:40

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Peu après la guerre, dans une ville du havre partiellement détruite, Jean (J.P Kérien) dirige une équipe de dockers. Il tente d’obtenir auprès du contremaitre Ambilarès une promotion pour son ami André (Robert Dalban) mais il essuie un refus catégorique ce qui met en rage André qui est peu après renvoyé pour avoir maltraité un docker africain. Jean, qui jusque là repoussait les avances de Madeleine (Ginette Leclerc), la femme d’André, finit par lui céder un après midi où elle était venue le relancer jusque chez lui et le regrette aussitôt. Le soir même, devinant ce qui venait de se passer, André part dans la nuit à la recherche de Jean. Le lendemain, il est retrouvé mort sur un chantier naval …


Sortis bien cabossés de la guerre, les prolos du réalisme-poétique à la française sont dorénavant plus réalistes que poétiques. Pas un pour rattraper l’autre les dockers ! D’ailleurs la façon dont sont décrits ici les « masses laborieuses » n’a plu à personne puisque le film a le privilège d’avoir été détesté voire boycotté aussi bien par la centrale catholique du cinéma que par le parti communiste et la CGT ! Le film fut accusé de misérabilisme et d’irrespect pour le monde ouvrier. Or, s’il n’est certes pas tendre avec les dockers, ce n’est pas un film hargneux. Il dépeint simplement un milieu, une époque et une ville avec infiniment de noirceur, voilà tout. Car même la ville est absolument déprimante. Le Havre est une ville dévastée, parsemée de zones blanches sans un seul bâtiment debout et où seuls quelques tas de pierre subsistent au milieu d’immenses étendues rasées. Quelques pâtés de maisons sont restés debout et l’on peut voir que nombre des façades restantes sont criblées d’impact. Certains bâtiments ont été remontés à la hâte, comme le bar en préfabriqué tenu par Albert (Yves Deniaud, en cafetier plus vrai que nature, lui même sévère buveur, et qui est très bien servi par le dialoguiste .. mais pas trop non plus, on n’est quand même pas chez Audiard). Son bar est surpeuplé car sortis du boulot, tous les dockers et les marins ne pensent qu’à une chose : se bourrer la gueule ! En dehors de Deniaud, on croise d’autres figures de l’époque : Dora Doll en prostituée. Frehel en logeuse des travailleurs immigrés (victimes du racisme de certains collègues, exploités, malades, parfois battus et vivants les uns sur les autres) ou André Valmy, excellent en policier souriant et placide, un brin cynique et qu’on pense indifférent au sort de l’accusé mais qui se montre finalement loyal, efficace et brave type. Mais ces personnages secondaires sont assez peu pittoresques, les dialogues fleurent rarement les bons mots d’auteur et les acteurs sont « sobres » comparativement à ce qu’on peut voir dans nombre de films du genre à l’époque.


Car Marcel(lo) Pagiero, qui avait été acteur et metteur en scène en Italie et qui avait travaillé avec Rosselini, n’avait pas oublié son passé italien puisqu’on est ici plus proche de l’atmosphère du néo-réalisme que du polar à la française dans lequel on croit d’abord être plongé. On n’est pas vraiment dans un banal film criminel et ce qui intéresse visiblement Pagliero, c’est surtout la peinture du milieu où survient le crime. L’identité même du tueur donne immédiatement à comprendre que ce fait divers est secondaire dans l’histoire, de même que ses principales conséquences : l’enquête policière, les soupçons qui pèsent sur Jean et l’aspect « faux coupable ». Sauf que cette situation entraine une méprise tragique pour le plus passionnant des personnages, c’est à dire pour Madeleine, l’épouse de la victime. On la découvre vivant dans un logement gris, exigu et triste dans un immeuble faisant face à l’un de ces terrains vagues laissés par les bombardements. Elle est manifestement dégoutée par un mari (le devoir conjugal est visiblement une corvée) qu’on croit simplement râleur et aigri (au travail) mais qui est, surtout en privé, carrément colérique et violent (excellent Dalban). Mal mariée, elle se jète au cou de Jean … sans qu’on puisque parler d’une garce ; précision utile puisque Ginette Leclerc a tenu bien souvent cet « emploi ». D’un coté, elle fait un tel rentre-dedans qu’on s’interroge sur la nature de sa relation avec son mari, et plus largement sur la bouillante Madeleine elle même bien qu’elle ne soit pas du genre à coucher n’importe où et surtout pas utile puisqu’elle repousse sèchement les avances du contremaitre Ambilarès (qui est par ailleurs détesté par tous). Je ne suis pas un grand fan de Ginette Leclerc mais le personnage, pour ambigu qu’il soit, finit par toucher et c’est amené de manière assez fine à partir du moment où l’on comprend qu’elle s’illusionne sur Jean puisqu’elle croit que son amant d’un jour a tué son mari par amour pour elle. Dans ce sombre drame où Pagliero n’épargne pas grand monde, malgré les apparences, elle est finalement celle qui est la moins maltraitée. Car entre l’alcoolisme massif, la bêtise ordinaire et le racisme (un docker profère des insultes au passage d’un collègue noir), le milieu n’est pour le moins pas enjolivé et même Jean, un brave type mais qui se montre un peu lâche avec Madeleine, n’est pas épargné. Au final, seulement deux hommes feront preuve d’un peu de sagesse et de tolérance, ce sont les hommes qui ont sans doute la plus grande expérience de leurs semblables : le patron de bar et le flic qui tenteront de calmer et de raisonner Jean lorsque la vérité sera découverte. Trop tard … Excellent film qui pour sa noirceur et sa peinture simple et juste d’un milieu rejoint l’un des grands films de Verneuil : « Des gens sans importance ».

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chip
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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par chip » 11 oct. 2017, 08:20

Je vais partir à la recherche du dvd, même si je n'ai jamais beaucoup aimé " la femme du boulanger ".

Stark
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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par Stark » 12 oct. 2017, 16:02

Dès qu'un film montre la zone d'une grande ville, Fréhel est présente, c'est d'ailleurs son dernier film. On la voit par exemple dans "l'Enfer des Anges", tout est dans le titre. Autre film conseillé avec Marcel Pagliero, "Les Jeux Sont Faits" de Jean Delannoy.

kiemavel1
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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par kiemavel1 » 13 oct. 2017, 13:19

Ils en parlèrent ...

Jacques Lourcelles : Croisement original entre un entrelacs tragique digne du « réalisme poétique » d’avant guerre et une volonté d’observation et de véracité documentaire proche du néo-réalisme. Si ce croisement est si réussi, il le doit à la maturité du style du réalisateur et notamment à la justesse des dialogues et de l’interprétation. (Dans « Dictionnaire du cinéma ». Bouquins)

Gérard Legrand : Pagliero en a tiré un singulier poème visuel sur la solitude humaine dans une ville en ruines. La rudesse stylisée et efficace de l’action, l’économie des expressions et du dialogue, l’emploi extrêmement intéressant d’un cadre exceptionnel (le port Du Havre en reconstruction et les difficultés du métier de docker) font de ce film, qui fut à sa sortie l’objet d’absurdes polémiques, l’une des rares tentatives réussies de néo-réalisme italien transplanté en France. (Dans « Dictionnaire mondial des films ». Larousse)

Georges Sadoul : La production avait été réalisé avec le soutien du syndicat des dockers mais quand elle leur fut présentée, ils la critiquèrent vivement. Le film resta longtemps sans trouver de distributeur, puis alors qu’une longue grève des dockers se poursuivaient, il fut présenté soudain en mai 50, dans les deux plus grandes salles de Paris. La circonstance provoqua une réaction accusant Pagliero de «  démoralisation de la classe ouvrière ». Pour ma part, après avoir remarqué que P. Lafargue n’avait pas eu raison d’attaquer Zola pour avoir, au lendemain de la Commune, montré des ouvriers ivrognes dans L’assommoir, j’ajoutai : " Zola prouva qu’il considérait le peuple comme autre chose qu’une matière à des études naturalistes. Marcel Pagliero, s’il est vraiment sincère, démontrera par la suite si son film a été une erreur et non pas une insulte préméditée". (Les lettres françaises, mars 1950). L’erreur était surtout imputable au critique, qui ne doutait pourtant point, en s’opposant timidement à une critique terroriste, de la sincérité de Pagliero. (Dans : Dictionnaire des films. Microcosme)



Sadoul apporte donc des précisions intéressantes sur la réception du film à l’époque, puis fait une sorte de timide et tardif -mais louable- mea culpa personnel

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chip
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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par chip » 13 oct. 2017, 14:15

Commandé à la Fn.. , prix du dvd 9, 30 euros.

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chip
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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par chip » 21 oct. 2017, 09:29

Enfin visionné ! Qu'en dire ? rien de plus, tout a été dit et bien dit dans la critique du film, je dirais simplement que je ne regrette pas mon achat.

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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par kiemavel1 » 21 oct. 2017, 22:42

Pas été surpris par l'apparence de Ginette Leclerc ?
Dans un tel film, elle ne pouvait pas tellement paraitre sophistiquée (de toute façon, elle aurait eu du mal à passer pour une "bourgeoise :wink: ) mais je l'ai trouvé particulièrement mal coiffée et fagotée dans ce film. J'avais même failli y faire allusion. Mais c'est un détail sans importance.

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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par chip » 22 oct. 2017, 08:33

J'ai trouvé ici Ginette Leclerc assez bonne comédienne, par contre très laide avec ses cheveux tirés et son front énorme, on a du mal à croire qu'elle suscite autant le désir, ce n'est pas D.D..

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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par kiemavel1 » 22 oct. 2017, 13:56

chip a écrit : 22 oct. 2017, 08:33 J'ai trouvé ici Ginette Leclerc assez bonne comédienne, par contre très laide avec ses cheveux tirés et son front énorme, on a du mal à croire qu'elle suscite autant le désir, ce n'est pas D.D..
DD en plus de sa beauté, elle est intemporelle. La comédienne de comédies des années 30, tu pourrais la retrouver à peine modernisée dans des comédies d'aujourd'hui sans problème alors que le jeu des ingénues de Prévert ou celui des femmes fatales de cette époque a plus mal vieilli, je trouve (même si j'admire les films). Sa disparition est triste et j'en ai été affecté mais 100 ans quand même ... C'est une belle et longue vie.

Avec Ginette, c'est sûr qu'on est loin de DD mais si elle n'est effectivement physiquement pas attirante dans ce film, elle suscite quand même le désir ... parce qu'elle est chaude comme une baraque à frites :wink: tout au moins c'est manifeste dans son attitude avec Kerien. J'ai lu 2 critiques la qualifiant de garce, de nympho surexcitée et allant chercher que le mari (Dalban) est impuissant. Pas d'accord. Que Dalban la dégoute , OK mais les draps froissés qui lui font honte quand Kerien se rend dans leurs appartements, prouvent bien qu'ils se passent des trucs. Après, j'ai plutôt l'impression que le devoir conjugal est une corvée parce que son époux la dégoute totalement, parce qu'elle le craint et le méprise, plus que parce qu'elle ne serait pas satisfaite (comme on dit chez Simenon). Et en plus, ma petite expérience en nymphomane (qui date de longtemps :mrgreen: ) ne colle pas avec ce personnage qui se refuse fermement au patron. Pour moi, ce n'est pas une garce. D'ailleurs, l'épilogue le prouve.

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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par chip » 22 oct. 2017, 14:12

Je trouve la télé bien chiche en ce qui concerne un hommage à D.D., j'aurais cru à beaucoup plus, mais peut-être est-ce encore trop tôt, attendons, pour l'instant rien ou si peu...

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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par kiemavel1 » 22 oct. 2017, 14:18

chip a écrit : 22 oct. 2017, 14:12 Je trouve la télé bien chiche en ce qui concerne un hommage à D.D., j'aurais cru à beaucoup plus, mais peut-être est-ce encore trop tôt, attendons, pour l'instant rien ou si peu...
Pour l'instant, c'est nettement insuffisant. La patronne de FranceTV a du voir le sujet du JT le jour de l'annonce de son décès. DD ne disait pas grand chose aux plus jeunes et puis, à part Arte qui va passer du N&B à 21 h ... ET pourtant, je suis sûr qu'il y a un public potentiellement assez large pour Ophuls ou les meilleures comédies des années 30.

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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par chip » 22 oct. 2017, 15:28

Comme je viens de finir de lire le roman de Stendhal, j'aimerais bien revoir "Le rouge et le noir" , le film est en Eastmancolor, ce qui devrait aller pour nos directeurs de chaînes. Inoubliable la scène ou D.D. va rejoindre Philipe, repart, puis revient, cédant au désir.. rarement vu de moments aussi sensuels dans un film tout est suggéré et c'est très fort, idem pour le film de Vidor " Le rebelle" où la tension érotique entre Cooper et Patricia Neal est très nette.
Pour revenir à D.D. je n'ai jamais vu " L'amant de lady Chatterley" que l'on dit très soft, la version avec Marina Hands était plus proche du roman, Darrieux dit avoir accepté le rôle à condition qu'il n'y ait pas de scènes érotiques, donc le film ne pouvait pas être à la hauteur de la réputation du roman de Lawrence, mais nous étions en 1955...

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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par Stark » 29 oct. 2017, 08:15

Je pense que tout le monde est unanime, DD était et restera merveilleuse, dans les chefs d'oeuvre ("Madame de"..., "le Plaisir", et tant d'autres) comme dans ses films moins connus. Des polars ("Le Désordre et la Nuit", "La Vérité Sur Bébé Donge"), des comédies avec son premier mari (Henri Decoin le veinard), ... Et des titres moins connus mais excellents : "La Maison Bonnadieu" (de Carlo Rim avec Bernard Blier), "l'Affaire Des Poisons" (un polar de Decoin en costumes et en couleurs à la Hammer, du coup je vais le revoir), "Le Crime Ne paie Pas" (méconnu policier à sketches de Gérard Oury). Je viens de voir "l'Amant de Lady Chatterley" (merci JP) qui ne recréée pas l'ambiance britannique (casting hétéroclite, scènes de brasserie très franchouillardes, assez académique dans l'ensemble) et surtout rien de sulfureux, malgré quelques dialogues très explicites entre les deux amants.

DD ne fêtera pas les 100 ans de sa copine de classe Suzy Delair (qui n'est pas la doyenne du cinéma français). J'ai eu l'impression que le décès de DD a été moins couvert que celui de Jean Rochefort, Mireille Darc ou Jeanne Moreau. Rochefort et Darrieux ont tourné ensemble dans "Du Grabuge Chez Les Veuves" et "Le Dimanche De La Vie" (DD y est très caustique dans ce film vitriol qui a dérouté pas mal de spectateurs, réalisé en 1967 par Jean Hermann, attention ce n'est pas de la nouvelle vague).

Je rejoins ceux qui n'apprécient pas Ginette Leclerc, mais au sujet des nymphos, j'aimerais bien voir un jour "La Rage Au Corps" de Ralph Habib avec Françoise Arnoul et Raymond Pellegrin (que l'on revoit dans un film au sujet similaire, "La Lumière d'en Face" avec BB, polar érotique proche du "Facteur Sonne Toujours Deux Fois").

Stark
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Re: Un homme marche dans la ville - Marcel Pagliero - 1950

Message par Stark » 22 oct. 2019, 09:33

Pour en revenir à Marcel Pagliero, voici un excellent livre consacré à ce réalisateur : "Marcel Pagliero, l'italien de Saint-Germain-des-Prés" écrit par un spécialiste du cinéma italien, Jean Gili.


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Les films de Pagliero sont étudiés chacun dans un chapitre et c'est très fouillé. Cet ouvrage m'a enfin permis de savoir ce que vaut "Les amants de Brasmort", film de batellerie inédit depuis des lustres, on ne trouve aucun avis nul part. Et ce film serait du niveau d'"Un homme marche dans la ville", la bonne nouvelle, c'est que cette rareté serait en cours de restauration. Patience.


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