Le Lac aux oies sauvages - Nan fang che zhan de ju hui - 2018 - Diao Yi-nan

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HART
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Le Lac aux oies sauvages - Nan fang che zhan de ju hui - 2018 - Diao Yi-nan

Message par HART » 21 janv. 2020, 13:42

Parler ici de ce film est peut-être inapproprié . Mais , je le fais quand même , on comprendra pourquoi.

Cette œuvre venue de Chine reprend une situation classique de l'univers " noir " : l' impitoyable traque , à la fois par la pègre et par la police , d'un petit truand , Zhou. Une intense et nocturne chasse à l'homme durant laquelle le destin du fugitif croisera celui de Liu ,une jeune prostituée.

Le titre du film choisi pour l'exportation , The Wild Goose Lake , pourrait paraitre d'une trompeuse poésie.
Le lac en question borde une cité sinistre. Il est destiné à abriter les ébats des prostituées et de leurs clients , hors de portée de la police.
Un endroit sordide en vérité.
Mais , justement , le film , tout en ne cachant rien du côté abject et crasseux des situations , génère une subtilité , un lyrisme , et donc une poésie paradoxalement détachée du contexte mais intégrée au propos.
Diao Yi-nan délivre donc ici une œuvre qui renvoie au film noir classique tout en s'en différenciant sous bien des aspects.
Une détermination favorisée par l'évolution des mœurs et de la technique cinématographique.

Les relations du fugitif et de la prostituée évoluent selon un schéma méfiance-fascination-répulsion qui rappelle , dans un tout autre contexte , celui des deux ( trois ? ) personnages de Vertigo.
Mais là où Hitchcock suggère admirablement les sentiments les plus sombres ( la nécrophilie , en particulier ) tout en restant pudique ou métaphorique sur l'attirance charnelle de ses personnages , Diao Yi-nan expose attraction physique et comportement sexuel de façon précise , voire crue. Mais ce que fait aujourd'hui le réalisateur chinois , Hitch l'a peut-être rêvé...

De même , Diao Yi-nan montre une violence physique extrême , quasiment absente des films noirs américains. Mais ce qui pourrait paraitre des excès n'en sont pas . Ce n'est ni indécent , ni obscène , ni primitivement sanguinaire.
Au contraire , certaines images sont d'une beauté fulgurante confinant parfois à l'abstraction d'un tableau non figuratif : un parapluie surgissant de la pénombre pour traverser un corps et s'ouvrir en une pluie sanglante , une poursuite nocturne illuminée par les semelles phosphorescentes des traqueurs , ...

À la " femme fatale " de bien des films noirs classiques , le réalisateur présente et détaille " la femme victime " , au bout du compte encore plus fascinante que sa vénéneuse ascendante.
Diao renforce l'image de ses personnages féminins par le choix de ses interprètes.
Les actrices sont graciles , belles , touchantes , les acteurs , à l'exception notable du " héros ", personnifient des lourdauds obtus , des brutes grossières ou des gouapes agressives.

Enfin , au contraire de films noirs célébrés , nous avons ici un dénouement lumineux en dépit de la conclusion tragique et inéluctable de l'histoire.
Diao renonce à une magnificence du désespoir que l'on peut trouver dans des chefs d'œuvre comme Gun Crazy ou You Only Live Once pour proposer la même émotion avec une approche radicalement opposée.

En fait , Le Lac aux Oies Sauvages a eu certainement besoin d'un ferment pour exister , mais il n'a pas besoin de référence pour être ce qu'il est : un film prodigieux.
Modifié en dernier par HART le 21 janv. 2020, 19:45, modifié 1 fois.

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pak
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Re: Le Lac aux oies sauvages - Nan fang che zhan de ju hui - 2018 - Diao Yi-nan

Message par pak » 21 janv. 2020, 18:51

Pourquoi serait-ce inapproprié de parler de ce film ici ?

C'est bien un polar, et même un film noir. Il a toute sa place ici. Très belle présentation, qui donne envie de voir. D'autant que récemment, des films comme A touch of sin de Jia Zhang-ke (2012) ou Black coal, le précédent film de Diao Yi-nan (2013), redonne des lettres de noblesse à un cinéma chinois qu'on avait peur-être un peu trop enfermé dans le film en costumes ou pire dans le placard nationaliste.

Même si je préfère, côté asiatique, le cinéma sud-coréen. Néanmoins, ces perles noires auraient tendance à montrer que le verrou gouvernemental s'est entrouvert, laissant les auteurs aborder des sujets considérés jusqu'alors tabous, peut-être tout simplement parce que les autorités ont compris que pour s'exporter, le cinéma chinois doit avoir plus de liberté pour parler à plus de monde...
Dans la guerre, il y a une chose attractive : c'est le défilé de la victoire. L'emmerdant c'est avant...

Michel Audiard

HART
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Re: Le Lac aux oies sauvages - Nan fang che zhan de ju hui - 2018 - Diao Yi-nan

Message par HART » 26 févr. 2020, 13:40

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Pour ceux qui ont raté cette merveille , une deuxième chance : Blu ray et DVD sortent chez nous le 25 avril.
Date facile à retenir , c'est le jour de la St Marc ...

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Tecumseh
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Re: Le Lac aux oies sauvages - Nan fang che zhan de ju hui - 2018 - Diao Yi-nan

Message par Tecumseh » 12 avr. 2020, 18:31

Je ne viens décidément pas assez souvent de ce côté du forum, alors que pourtant j'adore ce genre ! :oops:

Du coup, je ne découvre que maintenant l'avis de Hart sur ce film, avis que je partage en tous point de vue.

Attiré d'une part par le cinéma asiatique que je trouve souvent novateur dans la mise en scène, et par une critique élogieuse qui en était faite dans certains médias. J'ai vu "Le Lac aux Oies Sauvages" il y a plusieurs semaines, un dimanche en soirée, lors d'une séance quasi privé en rapport aux nombres de spectateurs présents.
Reste que souvent avec ce genre, je n'ai pas de juste milieu et soit j'adore, soit cela me passe complètement à côté. Ici vous l'avez compris, ce fut une belle claque autant visuelle (certains plans, les scènes nocturnes en particulier sont magnifiques !), que scénaristique, avec en plus la découverte d'un côté de la Chine que je vois rarement ainsi retranscrit à l'écran.

Typiquement la séance ciné dont je sors avec un air de contentement béat, et qui fait que j'adore ce dernier ! Mon gros coup de coeur de début d'année et la sortie prochaine du bluray (que j'espère à la hauteur ...) me permettra d'y replonger avec délectation. :)

Et aucun doute c'est sans conteste un film noir, et un grand !

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