La Meilleure façon de marcher - 1975 - Claude Miller

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Moonfleet
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La Meilleure façon de marcher - 1975 - Claude Miller

Message par Moonfleet » 25 juin 2019, 08:03

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La Meilleure façon de marcher – 1975

Eté 1960 dans la campagne auvergnate. Marc (Patrick Dewaere) et Philippe (Patrick Bouchitey) sont tous deux moniteurs d’une colonie de vacances dans cette région du centre de la France. Marc est un homme viril et fort en gueule qui fait surtout pratiquer du sport et des épreuves d’endurance physique à ses préadolescents ; Philippe, introverti et rêveur, supporte difficilement les blagues humiliantes de ses ‘collègues’ et préfère se tourner avec les enfants qu’il a en charge vers des activités plus ‘intellectuelles’ comme le théâtre. Un soir Marc surprend Philippe grimé et habillé en femme. Déjà que Philippe était le souffre-douleur de l’équipe mais depuis ce jour il est constamment harcelé par Marc, leurs relations troubles et ambiguës -entre cruauté et respect- se transformant en violent affrontement d’autant plus que Marc est jaloux de la jeune fiancée de Philippe (Christine Pascal) qui est venu rejoindre son amoureux sur place…

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Un premier film qui se révèle être une réussite incontestable à tel point que Claude Miller n'arrivera malheureusement plus à l’égaler, même si au sein d’une filmographie au final très inégale quelques unes de ses œuvres suivantes seront presque tout aussi admirables. Sous grosse influence ‘truffaldienne’ sur la forme et malgré quelques idées de mise en scène un peu datées, ce troublant drame psychologique abordant des thèmes pour certains encore tabous à l’époque comme le harcèlement moral ou les incertitudes sexuelles, est fabuleusement bien interprété par Patrick Bouchitey, Michel Blanc, un hilarant Claude Piéplu, la trop rare et lumineuse Christine Pascal ainsi qu’un Patrick Dewaere tout simplement génial. L'ensemble est tout à la fois concis, tendu, troublant, drôle, grinçant et psychologiquement passionnant. La reconstitution d'époque et de la vie quotidienne dans une colonie de vacances est tout aussi parfaite, le scénario opérant ainsi un parallèle entre enfants et adultes quant à la cruauté dans leurs rapports aux autres, les seconds n'étant pas forcément plus matures que les premiers. Bref, un chef-d’œuvre du cinéma français ! Ce préambule aurait pu faire office de conclusion mais il n’est parfois pas plus mal de savoir d’emblée à quoi nous en tenir. Voilà donc qui est dit !

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Luc Béraud et Claude Miller ont dit avoir écrit ce film en pensant à Ingmar Bergman qui exprimait en substance lors d’un entretien que le fait qu’une personne ait un jour été victime d’humiliation lui faisait acquérir un peu plus de maturité pour le reste de sa vie. Ce qui n’est probablement pas faux sans néanmoins demander à ce que l’on soit obligé d’en passer par là pour devenir plus mûr ! Et ce pourrait effectivement être l’une des clés de l’épilogue -se déroulant plusieurs années après les faits relatés tout du long- qui en a étonné beaucoup ; il se situe pourtant dans la droite lignée de ce qui a précédé une fois que l’on a constaté que les auteurs font mine ni de juger les actes de leurs personnages ni de prendre partie pour l’un ou l’autre, qu’ils refusent de systématiquement tout expliquer et qu’ils se révèlent être des champions du non-dit. Pour ma part -et même si cette ‘analyse’ n’est pas partagée par la majorité- j’y vois un Happy-End nous montrant tout simplement qu’il est possible d’évoluer puis de se bonifier avec l’âge ainsi que d'oublier avec le temps d'anciennes rivalités et rancœurs aussi violentes fussent-elles. Peut-être un peu naïvement, je vois au final le film comme une sorte 'd'hymne' au droit à la différence et à la tolérance sans que ça ne passe par un quelconque moralisme.

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Le film raconte les relations troubles, ambiguës, perverses voire cruelles et teintées de sadomasochisme entre deux moniteurs de colonie totalement opposés, lors d’un été de l’année 1960, époque à laquelle nos deux auteurs ont pût expérimenter ce qu’ils ont décrit dans leur œuvre, Claude Miller avouant même sans honte se reconnaitre un peu dans le personnage de Marc, "ayant pût s'avérer aussi ‘con’ que lui sur certains points". C’est pour cette raison que le manichéisme n’est pas de rigueur, le protagoniste qu’interprète Patrick Dewaere ayant beau être haïssable qu’il n’en est pas moins également extrêmement touchant, à la fois monstrueux et fragile. D’un côté donc, l'oppresseur Marc-Dewaere, un homme tapageur qui éructe sans arrêt, affirmant ainsi une espèce de virilité et d’aisance en société qui le rendent charismatique pour la plupart des ses collègues moniteurs ; il avouera même à un moment que c’est parce qu’il a une grande gueule qu’on l’écoute et qu’on le suit. Les enfants qu’il a en charge, il leur fait évidemment pratiquer du sport à outrance puisqu’il semble n’y avoir que ça qui l’intéresse en plus des cartes et des filles ; la lecture "c’est de la branlette" et ne parlons pas de la mise en place d'un spectacle, activité dont "il n'a rien à foutre", ou encore des films d’art et essai : la séquence au cours de laquelle Michel Blanc et Patrick Bouchitey essaient tant bien que mal de suivre à la télévision Les Fraises sauvages de Bergman -probablement diffusé au ciné Club- alors que les autres ‘monos’ braillent à n’en plus finir lors d’une partie de poker est inénarrable et résume assez bien le film dans les conflits qui se mettent en place entre les ‘beaufs’ et les ‘intellos’ pour résumer basiquement et rapidement l'intrigue, ce qui n’est pas du tout le cas de cette œuvre bien plus subtile que l’on aurait pût penser au vu de cette description.

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En effet, derrière leur dimension faussement stéréotypée, Claude Miller parvient à faire ressentir la complexité de chacun de ses deux principaux protagonistes, les seconds rôles étant au contraire croqués expressément avec force clichés pour renforcer le côté comédie grinçante. Face donc à l'inquiétant Marc, l'opprimé Philippe-Bouchitey, jeune homme gracile, réservé et renfermé qui se tourne plutôt vers le théâtre quant aux animations proposées à son groupe. Le soir, au lieu de devoir supporter les fanfaronnades et discussions en dessous de la ceinture des autres, ne se sentant pas à sa place à leurs côtés, il préfère se retirer dans sa chambre. Mais le jour où Marc le surprend à se mirer dans son miroir, déguisé et maquillé en femme, tout bascule. Le macho n’accepte pas cette différence, l’homophobie étant encore un phénomène assez naturel et ‘normal’ en ce début des années 60. Ayant trouvé cette grosse faille -de son point de vue- chez son 'adversaire', il va s'engouffrer dedans et jouer sur ce secret qui, s'il venait à sortir au grand jour, mettrait à mal son 'adversaire'. A savoir néanmoins au vu des innombrables papiers écrits à propos du film que contrairement à la plupart des analyses, selon Patrick Dewaere et dans une moindre mesure Claude Miller, l’ambiguïté n'était pas de mise et qu'il n’était pas du tout question d’une quelconque attirance homosexuelle de Marc pour Philippe. Ceci dit, la volonté des auteurs de laisser beaucoup de questions en suspens voire sans réponses, ainsi que le fait de beaucoup pratiquer le non dit peuvent nous avoir logiquement mis sur cette piste.

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S’il était déjà la cible de certaines réflexions qui n’allaient néanmoins pas très loin, Philippe devient alors en quelque sorte le souffre-douleur de Marc qui semble avoir été déboussolé par ce qu’il a vu, aussi dégouté que curieux, aussi moqueur que fasciné. Un ‘suspense’ va alors se mettre en place consistant à se demander à quel moment Marc allait dévoiler aux autres les fantasmes de Philippe. Ce qui va accélérer les tensions et rendre les relations encore plus irritantes, c’est l’incompréhension grandissante de Marc lorsqu’il apprend l’existence d’une petite amie à Philippe, qui plus est d’une adorable beauté. Le machisme de Marc en est tout tourneboulé : comment un garçon qu’il pense 'pédé' peut-il avoir une ‘fiancée’ aussi jolie ? En son for intérieur ayant du mal à l’accepter, il va continuer à l’humilier de plus belle, mais désormais également devant la jeune femme, ayant probablement dans l’idée de les séparer. Tout cela ira assez loin dans la violence morale jusqu’à ce que Marc écrase la tête de son rival dans son vomi en le forçant à le manger. Puis, décidant enfin de s’accepter sans honte et d’assumer sa différence, Philippe va ressortir vainqueur et la tête haute de cette épuisante rivalité lors de la fameuse et déroutante séquence paroxystique du bal costumé, la 'bête' -l’homme-femme- terrassant le toréro, ce dernier finissant par flancher après s’être trop protégé derrière son outrageante virilité. Mais je vous laisse découvrir cette puissante séquence !

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Un film au sujet fort, totalement abouti, paradoxalement aussi délicat et subtil que culotté et impudique, osant prendre le spectateur à rebrousse poil en allant assez loin dans la violence morale et bravant le bon goût par son détonant mélange des tons, les séquences de comédie s’avérant pour certaines réellement hilarantes mais toujours sur la corde raide de la gêne ; il suffit de se remémorer de celle de l’histoire drôle "je ne parle pas aux enculés", de la partie de poker déjà évoquée plus haut, de la crise d’épilepsie de Michel Blanc au bord de la piscine alors qu’on le ‘banni’ de la colonie après que l’on ait trouvé des photos pornographiques dans sa table de nuit, ou encore celles qui mettent en scène un inénarrable Claude Piéplu, père de Philippe et directeur de la colonie, homme pédant, paternaliste et moralisateur qui attend beaucoup de sa boite à idées mais qui va vite déchanter lors du dépouillement des petits papiers. On se souviendra longtemps de sa manière de dire avec dégoût "concours de bites" et de ses mimiques d’incompréhension devant la bêtise de ses colons et celle de ses employés. Toutes ces scènes de pure comédie nous permettent de sortir la tête hors de l’eau, tout comme celles qui réunissent la sublime Christine Pascale –trop tôt disparue elle aussi- et Patrick Bouchitey. La sobre musique de chambre composée par Alain Jomy aide grandement à nous les rendre encore plus touchantes.

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Et puis bien évidemment, si La meilleure façon de marcher est aussi fort et aussi mémorable, c’est également et avant tout grâce à ses comédiens sur lesquels on ne peut écrire que le plus grand bien. A tout seigneur tout honneur, l'immense Patrick Dewaere dont la prestation cabotine est ici tout autant intense que magistrale ; l’acteur encore assez novice sait parfaitement bien faire ressortir la vulnérabilité derrière le tonitruant et frustre matamore au machisme exacerbé, aussi grand que Vittorio Gassman dans ce genre de rôle –Le Gaucho ou Le Fanfaron, tous deux signés par Dino Risi-, ce qui n’est pas peu dire et ce qui explique que Dewaere ait été par la suite demandé puis embauché par certains des plus grands réalisateurs italiens. Patrick Bouchitey n’est pas en reste puisqu’il réussit à pleinement exister aux côtés de son partenaire au fort charisme dans la peau d’un personnage pourtant peu volubile et, malgré son statut de victime, pas nécessairement toujours plus sympathique, voire même parfois tout aussi agaçant. C’était un rôle ‘casse-gueule’ dont il se sort avec les honneurs mais qui lui collera un peu trop longtemps à la peau, ne se voyant ensuite proposer pendant des années quasiment que des personnages d’homosexuels. On ne pourra pas non plus passer sous silence la gracile Christine Pascale, un tout jeune Michel Blanc ou encore un Claude Piéplu absolument désopilant en directeur démagogue, poseur et un peu démodé avec sa morale désuète.

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A tous ceux qui -souvent comme moi- se rendent immédiatement au dernier paragraphe pour savoir sans devoir tout lire ce qu’il doive attendre du film, je les invite à remonter jusqu’au premier au sein duquel était succinctement résumé ce qui a été rapidement développé dans les suivants. Tout ça pour arriver à en conclure qu’à mon humble avis ce film aussi fascinant que perturbant, ce premier essai remarquablement maitrisé de Claude Miller, peut sans rougir se compter parmi les sommets du cinéma français ! Patrick Dewaere le considérait même comme le meilleur film dans lequel il ait tourné avec le Série noire de Alain Corneau ; nous ne lui donnerons pas tort !
Source : DVDclassik