C'est Richard Widmark qui était l'initiateur de ce projet. Il avait acheté les droits de la pièce de théâtre du même nom pour 100 000 $ et avait crée pour produire son adaptation cinématographique, les Heath Productions, bien éphémère société puisqu'elle n'a finalement produit que 2 autres films : Dans la souricière (The Trap) de Norman Panama en 1959 et Le dernier passage (The Secret Ways) de Phil Karlson en 1961. Il confia la mise en scène à un débutant, son ami Karl Malden dont ce fut la seule réalisation en dehors des 15 derniers jours de tournage de La colline des potences (The Hanging Tree), un film qu'il termina quand Delmer Daves tomba malade mais il reçu en cours de route le soutien de Vincent Sherman et on ne sait pas vraiment qui a fait quoi. En tout cas, Il y a des façons plus sure de placer son argent mais il faut croire que Widmark tenait à ce projet et il avait raison. C'est un film de guerre "procédural" passionnant avec en vedette un grand Richard Widmark dans un de ses meilleurs rôles, assez proche d'ailleurs de celui qu'il tiendra 4 ans plus tard dans Jugement à Nuremberg. C'est un très grand film d'acteurs sinon un grand film tout court car il souffre tout de même de quelques défauts.
On suit les investigations d'un enquêteur et il s'agit par conséquent d'un pré-procès mais on est déjà dans un quasi huit clos assez oppressant qui fera penser à l'atmosphère de la salle des délibérations des 12 hommes en colère. On ne quitte le bâtiment ou se déroule les auditions qu'à 2 ou 3 reprises. Au tout début des interrogatoires du major Cargill - en raison de son mutisme- en désespoir de cause le colonel Edwards sort de la caserne pour la seule et unique fois et se rend au domicile de l'accusé pour y rencontrer sa femme (interprétée admirablement par une surprenante et émouvante June Lockhart). D'autre part, à 3 reprises, les témoignages sont illustrés par de courts flashbacks qui n'apportent pas grand chose et dont le film aurait même pu se passer même s'ils permettent de prendre un peu mieux conscience de la dureté des conditions de détention des soldats américains et justifier ainsi les intentions de ce film qui relativise la notion d'héroïsme et dont le message a pu paraître déplaisant à un certain nombre de spectateurs américains peu après la fin du conflit Coréen et alors que la guerre du Vietnam avait déjà débuté.
Ce film n'est véritablement ni un de ces grands films montrant la justice au travail. Ici, on ne verra pas de procès et même si la parenté avec le film de Lumet évoqué plus haut me semble évident, il l'est par le processus utilisé mais pas dans les intentions visées ou très partiellement. Le film n'a pas non plus l'ampleur d'un autre film évoquant lui aussi le lavage de cerveau subit par les prisonniers de guerre en Corée mais on pensera obligatoirement à Un crime dans la tête (The Manchurian Candidate) en le visionnant. Ce n'est pas non plus un film anti-communiste comme je l'ai lu sous la plume de quelques commentateurs…Le film de Malden est un modeste mais très solide film proposant une réflexion complexe et passionnante sur la notion d'héroïsme. Il a les défauts de ses qualités. C'est l'adaptation d'une pièce de théâtre et il est très fort pour ses dialogues souvent brillants et pour l'intensité dramatique véhiculée par les 6 comédiens principaux tous remarquables et bien dirigés par un maitre. Mais s'il est donc très solide sur ces bases là, il est aussi assez statique et son processus est répétitif. On assiste à une succession de scènes impliquant 2 des principaux personnages -ou 3 ou 4 au maximum- qui se succèdent à tour de rôle dans de courtes séquences un peu répétitives, un rythme seulement brisé par les flashbacks successifs. En revanche, si les auditions des anciens soldats ou les rencontres entre officiers mêlés à l'enquête tournent parfois à l'affrontement, c'est souvent beaucoup plus fin et les personnages sont caractérisés avec énormément de subtilité.
Comme je l'ai dit, c'est un film d'acteurs admirablement dirigés de ce point de vue par un connaisseur, Karl Malden, qui fut comme chacun sait, un grand acteur lui-même. Tous donnent le meilleur. C'est d'abord l'un des très grands rôles de Widmark. On pourrait s'attendre à ce qu'il joue ça sur un mode teigneux et énervé mais ce n'est pas du tout le cas (Il avait du prendre ses cachets Tommy Udo). Si en dernier recours, il est bien capable de frapper un témoin, l'enquêteur qu'il campe est juste un type très tenace mais ouvert et absolument pas parti à la "chasse aux communistes". Il n'éprouve pourtant nulle indulgence pour les traitres quand il en rencontre un mais il sent que quelque chose cloche dans l'histoire qu'on lui raconte. Si le général dirigeant le service tout comme la plupart des officiers qui gravitent autour d'Edwards et jusqu'aux simples soldats, semblent tous vouloir, sans l'exprimer toujours, voir Cargill déjà condamné, l'enquêteur ne fera aucune concession, n'étant même pas sûr que Cargill mérite d'être présenté devant une cour martiale. L'homme que découvre progressivement Edwards ne ressemble en tout ça aucunement à celui qui est accusé d'avoir signé au cours de sa détention une confession admettant l'usage d'armes bactériologiques par l'armée américaine, d'avoir animé des émissions de radio tenant des discours hostiles à l'intervention américaine en Corée et d'avoir tenter d'endoctriner ses camarades. Même le lavage de cerveau qu'il aurait subit selon les témoignages recueillis n'explique pas le comportement étrange d'un homme ne faisant rien pour se défendre.
Sous la pression de son entourage professionnel, Edwards ne pourra compter vraiment que sur sa secrétaire, le caporal Evans, un personnage surprenant car très loin des secrétaires potiches habituelles (...en dehors de quelques films noirs). Malden s'amuse d'abord à jouer des conventions car on la découvre dans une scène sexy qui à l'allure d'une fausse piste ou qui est un clin d'oeil, une façon de dire : ça c'est fait…maintenant je vais vous montrer un vrai personnage de femme. On découvre Evans roulant des hanches et se penchant sur un bureau pour y déposer un dossier alors que deux hommes anticipant sa posture, guettent le moment attendu…mais c'est pour mieux ensuite démonter les clichés sur la secrétaire sachant au moins préparer le café, ranger un dossier et passer les appels téléphoniques…ou au mieux être la jeune femme sexy, accessoirement maitresse de son patron. Ici, le personnage incarné par Dolores Michaels apporte une aide précieuse à Edwards qui est montré parfois comme un homme fragile, épuisé par les pressions qu'il subit et ne parvenant pas boucler son enquête. Edwards trouve en Evans non seulement un réconfort psychologique et des moments de répit en raison de sa bienveillance et de sa sensibilité mais elle est aussi montrée comme une jeune femme intelligente. C'est elle qui met en lumière les incohérences de certains témoignages et éclaire de manière décisive certains points obscurs du dossier.
L'autre assistant est tout aussi intéressant, c'est le sergent Baker, lui aussi excellemment campé par Martin Balsam. C'est un personnage complexe, à la fois le seul personnage doté d'humour et capable de se moquer d'Edwards qui s'embourbe dans son enquête mais qui le met aussi sérieusement en garde contre les dangers auquel il s'expose en s'obstinant à ne pas aller au plus simple : boucler son instruction et arriver à ce que tout le monde souhaite, y compris Cargill lui-même, sa condamnation. Pour le sergent Baker, Edwards met sa carrière en danger et il montrera que sa drôlerie n'est qu'apparente car il adoptera parfois une attitude menaçante à l'égard de Cargill pour le faire parler ce qui rendra par moment son personnage assez proche de celui que tenait Guy Marchand dans Garde à vue. Le sous officier n'ira pas jusqu'à tabasser le suspect mais il représente la ligne "gros beauf de base", celle qu'exprime sans mots les hommes du camp qui voyant passer le pestiféré s'arrêtent de parler, à priori hostiles et le condamnant par avance, tout comme du reste tout le personnel de la base à l'exception de Widmark et de sa secrétaire.
Un mot très bref sur l'accusé qui est interprété par le meilleur Richard Basehart que j'ai vu à ce jour. Son personnage est moralement défait mais avec une violence contenue que l'on sent prête à exploser. C'est cette rage rentrée qui cache une vérité cachée que tentera de traquer le personnage interprété par Widmark mais le rugueux, pathétique et scrupuleux Cargill, seulement coupable d'un excès de loyauté saura se défendre. Enfin, le seul accusateur que l'on aura à connaitre est interprété par un tout jeune Rip Torn qui a lui aussi de très bonnes séquences mais on sent bien que sa jeunesse et sa nervosité peuvent le faire vaciller…et on anticipe un peu longtemps à l'avance l'épilogue. On anticipe d'ailleurs très vite à peu près tout et on comprend au bout d'un quart d'heure ce qui a pu se passer véritablement dans le camp mais je dirais que ça n'a guère d'importance car jusqu'au bout le propos est d'une grande intelligence y compris dans le final ; car je parlais d'une fin alors qu'en réalité, il y en a plusieurs. La séquence finale permet à tous les personnages importants de venir exprimer leurs points de vue…et la leçon, si leçon il y a, est une leçon de tolérance.
C'est pourtant par la violence, verbale mais aussi physique, par la densité des échanges et en raison de la tension générée qu'éclatera la vérité mais là encore, Malden ; son auteur scénariste ainsi que ses portes paroles, les personnages, ne donnent pas de leçon de morale et le seul message véhiculé avec obstination est un message de tolérance. Même après que la vérité aura éclaté, le colonel Edwards fera tout pour qu'elle ne soit pas révélée à ceux qui pourraient en souffrir puisque les coupables n'ont péché que par faiblesse dans un contexte ou tous auraient pu flancher. C'est ça le "Time Limit" du titre original dont l'affiche américaine précisait la pensée : " You can't ask a man to be a hero forever - There's got to be a Time Limit". Les conditions de détention terribles subies par les prisonniers de guerre, torturés, affamés expliquent et excusent selon les uns la faiblesse dont ont pu faire preuve le ou les coupables de "trahison". Le général exprimera de son coté l'idée que le code d'honneur du soldat ne doit pas connaitre d'exceptions. Au fur et à mesure des arguments exprimés par les principaux personnages, on pourra être d'ailleurs d'accord avec les uns…puis les autres sans pour autant que le film veuillent renvoyer tout le monde dos à dos pour le motif que tout le monde a ses raisons. Les arguments du général peuvent s'entendre même si lui aussi finira peut-être par adoucir son opinion à la toute fin...de cette fin multiple. En tout cas, les dilemmes moraux auxquels sont exposés les soldats ne peuvent sans doute trouver de réponses dans aucun règlement…encore moins militaires…
Mais je ne suis en rien compétent pour en parler car je ne les ai côtoyé qu'un jour et demi et c'était à la fin des années 80


Réalisation : Karl Malden / Production : William Reynolds et Richard Widmark (United Artists) / Scénario : Henry Denker d'après sa pièce de theatre (coauteur : Ralph Berkey) / Image : Sam Leavitt / Musique : Fred Steiner
Avec Richard Widmark (Le colonel William Edwards) / Richard Basehart (Le major Harry Cargill) / Dolores Michaels (Le caporal Jean Evans) / Rip Torn (Le lieutenant George Miller) / Carl Benton Reid (Le général Connors) / Martin Balsam (Le sergent Baker)