
Le Clan des irréductibles - Sometimes a great Notion - 1971
La ville de Wakonda en Oregon traverse une difficile crise économique ; les syndicats de bucherons décident de se mettre en grève mais la famille Stamper refuse de les rejoindre dans leur lutte pour la survie de leur profession. Propriétaires indépendants de leur exploitation forestière, au risque d’être considérés comme des traitres, ils continuent à débiter leur bois envers et contre tous. Même la visite du président du syndicat n’entame pas les idées individualistes de l’impitoyable patriarche Henry (Henry Fonda), pas plus que celles de son fils Hank (Paul Newman) ou de son neveu Joe Ben (Richard Jaeckel). Après une dizaine d’années d’absence, le retour de Leeland (Micahel Sarrazin), le fils illégitime d’Henry, va faire vaciller le ciment familial. Ses idées progressistes ne sont pas appréciées de tout le monde mais Viv (Lee Remick), l’épouse de Hank, va se rapprocher de lui, trouvant en son beau-frère une bouffée d’air frais lui permettant de supporter ce milieu machiste rustre et suffocant…

Paul Newman était venu à la mise en scène en 1968 avec Rachel, Rachel. En cette année 1971 il n’était pas prévu qu’il passe de nouveau derrière la caméra mais, après 5 semaines de tournage du Clan des irréductibles, le comédien ne s’entendant pas très bien avec le cinéaste Richard A. Colla, ce dernier jette l’éponge et laisse la place vacante. On fait alors appel à Stuart Rosenberg, George Roy Hill puis Martin Ritt pour le remplacer ; ayant tous les trois refusés la proposition, Paul Newman se charge donc lui-même de reprendre le flambeau de ce qui s’avèrera être son deuxième film en tant que réalisateur, peut-être attiré par l’un des principaux thèmes de cette histoire, la dislocation d’une famille typiquement américaine. Il ne tournera ensuite plus que trois autres longs métrages en 15 ans, son dernier étant le bien trop méconnu La Ménagerie de Verre (The Glass Menagerie), l’une des adaptations les plus sobres et réussies de Tennessee Williams ; à cette occasion, il dirigera une fois encore son épouse Joanne Woodward en lui offrant pour partenaire John Malkovich. Malgré le fait que Paul Newman ait été estampillé réalisateur de film de femmes, Le Clan des irréductibles en prend le contre-pied en décrivant l’univers d’un milieu ‘burné’ rarement évoqué au cinéma, celui des familles de bucherons de l’Oregon dont les auteurs décrivent avec minutie et réalisme le travail, les coutumes et la vie quotidienne.

Le scénario adapte un roman fleuve de Ken Kesey datant de 1964, Sometimes a Great Notion. Ce même homme aura également été l’auteur deux ans auparavant d’un roman dont l’adaptation par Milos Forman sera non seulement plus célèbre mais également grandement mieux apprécié, Vol au dessus d’un nid de coucous avec Jack Nicholson. Car en effet, le film de Paul Newman est au contraire bien mésestimé, souvent méprisé même. Il n’est pourtant pas avare de grandes qualités cinématographiques à commencer par tout l’aspect documentaire sur le travail d’une exploitation forestière. Si les auteurs avaient augmenté le nombre et la durée des séquences consacrées à cet intrépide et viril ballet des machines et des hommes au sein de paysages majestueux, il est fort à parier que nous ne nous serions pas ennuyés une seule seconde tellement celles déjà présentes sont impressionnantes de maitrise, mélange de rudesse et d’un lyrisme grandiose presque digne d’un King Vidor. Utilisant magistralement sa caméra et ses vues aériennes -remarquablement bien soutenu par un très bon travail de montage-, sans besoin d’effets spectaculaires, Paul Newman parvient à nous immerger dans ce métier dont les dangers se font ressentir à chaque seconde, et arrive ainsi à maintenir une tension constante durant ces longues et captivantes séquences d’abatages et remontées d’arbres démesurés ; alors que les membres de la famille Stamper sont des hommes peu fréquentables, lorsque nous les voyons ainsi en plein travail ils nous apparaissent un peu comme des héros ‘Bigger than Life’, ce qui constitue l’une des belles réussites du film.

Le Clan des irréductibles débute par un conflit se déroulant entre les syndicats et la famille Stamper, cette dernière avec à sa tête l’intransigeant et opiniâtre patriarche -Henry Fonda qui depuis Il était une fois dans l’Ouest n’hésite plus à jouer les personnages haïssables- ne voulant rien entendre et refusant catégoriquement de les rejoindre dans leur combat malgré le fait qu’il semble en aller de l’avenir de leur métier et de l’économie de la région. Ce sont carrément des bâtons de dynamites que les deux camps se jettent à la figure, le spectateur étant d’emblée prévenu être en présence de gens durs et rustres, que ce soit du côté syndicaliste que celui des ‘briseurs de grèves’. Les femmes, réduites à une fonctionnalité purement domestique, n’ont guère droit à la parole et tout ce petit monde doit obéir aux caprices et aux exigences du père, homme vulgaire, impitoyable et dont la philosophie de la vie est de travailler dur pour pouvoir subvenir à leurs besoins qui ne se résument qu’à "dormir, boire, manger et baiser" ("To keep going, that’s why. To work and sleep and screw and eat and drink and keep on going”). Le retour au bercail de son fils illégitime après des années de vagabondage va un peu changer la donne ; Leland a en effet voici une dizaine d’années quitté le domicile familial avec sa mère qui entre temps s’est suicidée. Ses idées progressistes viennent buter violemment contre celles très réactionnaires des membres de sa famille, vivant dans ce coin reculé de L’Oregon proche de l’Océan comme des descendants directs des pionniers de l’Amérique, prônant la liberté individuelle même si pour la conserver il faut ‘écraser’ les voisins : leur devise est d’ailleurs très explicite sur le fait de ne pas pouvoir déroger aux différentes règles qu’ils ont établi, ‘Never Give a Inch’ (‘Ne jamais reculer d’un pouce’) ! Malgré leurs différents internes, ils se serrent les coudes et ils se battent contre tous ceux qui veulent se mettre en travers de leurs chemins, peu importe les conséquences.

Le spectateur va ainsi découvrir la vie quotidienne de ces bucherons de l’Oregon, les relations larvées qui existent au sein de la famille Stamper et les conflits qui l’opposent au reste de la communauté de cette région du Nord-Ouest des USA. Les auteurs sont assez courageux de prendre pour personnages principaux des gens aussi rustres et peu aimables, voire même carrément antipathiques comme celui interprété par un magistral Henry Fonda. Même Michael Sarrazin à qui l’on semblait pouvoir se rattacher se ralliera au final à la famille -après qu’elle ait presque intégralement volée en éclat- lors d’une dernière séquence superbement filmée de descente des grumes sur la rivière se terminant sur une image très culottée sans que l’on soit obligé de la valider, entérinant la rusticité et l'obscénité de ces hommes. Que l’on soit bien clair : les auteurs décrivent des protagonistes dont ils ne partagent évidemment pas les comportements et les idées ; ils n’en font pas des perdants pour autant malgré l’éclatement de la famille et la disparition d’un de ses membres lors d’une séquence absolument inoubliable qui nous offre -sans exagération- l’une des morts les plus fortes de l’histoire du cinéma
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